Jan Nelis

   

Présentation

 

Sujet de recherche

La marquise Arconati-Visconti (née Marie Peyrat, 1840-1923), veuve à l’âge de 36 ans, surnommée la « marquise rouge », utilisa son indépendance d’esprit et sa grande richesse pour créer deux salons à Paris. Vivant entre la France et la Belgique, elle recevait aussi ses amis au Château de Gaesbeek, près de Bruxelles. Son impressionnant réseau était constitué de représentants du monde académique (Franz Cumont, Alfred Loisy, Henri Pirenne...), d’hommes politiques (Jean Jaurès, Léon Gambetta, Émile Combes...), de figures publiques (Alfred Dreyfus...) et de critiques et experts artistiques (Jules Guiffrey...). S’appuyant sur l’ensemble de ses contacts, la marquise Arconati-Visconti a œuvré à la croisée des mondes scientifique, politique et religieux en France et en Belgique, en promouvant des réformes éducatives, en soutenant des campagnes politiques et des journaux, en essayant de réduire l’emprise de l’Église Catholique sur la société. La dynamique de ce réseau est documentée par des milliers de lettres écrites et reçues par la marquise, mais la majorité de celles-ci est inédite et n’a jamais fait l’objet d’une étude approfondie. En effet, s’il existe des notes bio-bibliographiques sur certains membres du réseau, ce dernier n’a jamais été totalement reconstitué, ni étudié pour cerner le rôle exact de la marquise entre France et Belgique, au croisement entre politique, culture et science (Lilti 2005).
 
Ce projet part de l’étude de la correspondance entre la marquise et un ami belge très proche, l’historien des religions Franz Cumont (1868-1947), pour proposer une première reconstitution du réseau dans lequel ces deux personnalités s’insèrent. Cette riche correspondance est conservée à Paris (Cumont à AV, Bibliothèque Victor Cousin, 498 lettres, 1971 folios) et au Château de Gaesbeek (AV à Cumont, 422 lettres, 1320 folios). Les échanges épistolaires seront ainsi utilisés pour analyser la dynamique très particulière des salons comme lieux de discussion entrecroisant plusieurs disciplines et approches (littéraire, politique, artistique, historique,...), et touchant à des thèmes tels que la religion, le genre, l’éducation ou encore l’antisémitisme, mais aussi pour entreprendre la « cartographie » d’un réseau résolument transversal. Or, par son profil d’historien des religions, proche du modernisme, issu d’un milieu libéral, Franz Cumont représente une entrée particulièrement stimulante dans cet univers qui associe sociabilité de salon et activités scientifiques. Par ailleurs, son insertion dans divers réseaux savants a fait l’objet de plusieurs études de la part de Corinne Bonnet (1997, 2005, 2008).

Ce projet vise donc à poser les premiers jalons d’une étude approfondie du réseau de la marquise comme reflet de la société francophone du début du XXe siècle et de l’imbrication entre divers espaces de pouvoir et de savoir. Par le biais d’une prosopographie de ses membres, et de l’analyse de leur insertion dans le contexte européen, on évaluera l’apport de ce réseau dans le domaine de l’histoire intellectuelle. Sur le plan méthodologique, on combinera les outils de la social network analysis avec ceux, plus classiques, de l’analyse et de la contextualisation d’un corpus de textes en tant que reflet d’une époque, d’un milieu et de pratiques de sociabilité nourrissant le tissu social.
 
Pour ce projet, je souhaiterais travailler avec Corinne Bonnet, spécialiste de Franz Cumont et membre du Labex Structuration des Mondes Sociaux, opération Mondes Scientifiques, et ainsi insérer ma recherche dans un contexte de travail réunissant plusieurs spécialistes du monde scientifique mais aussi politique, deux champs d’expertise de l’Université de Toulouse et qui se croisent dans mon projet. Par ailleurs, une des méthodologies proposées étant l’analyse de réseaux, je pourrai aussi profiter des compétences et travaux en cette matière de Michel Grossetti et Béatrice Milard, entre autres. En regard du récent changement de nom de l’Université, l’apport de ce projet au rôle historique de Jean Jaurès, figure emblématique au sein du réseau de la marquise, revêt au-delà de son caractère scientifique une portée symbolique.