Entre certitude des désastres environnementaux et incertitudes socio-politiques, quel rôle pour les scientifiques ? L'expérimentation de l'Atelier d'écologie politique

Jean-Michel Hupé, Laure Teulières
Laboratoire FRAMESPA, Université Toulouse Jean Jaurès & CNRS
Atécopol, plateforme d’expertise de la MSHS-T

 

Présentation

L’ Atécopol est un collectif toulousain et non partisan de plus de 170 scientifiques de toutes  disciplines. Son objectif : face aux ravages écologiques, partager les savoirs entre les disciplines et avec la société et les rendre opérant. Dans le court-métrage Désobéir, la narratrice dit « Parfois je me dis que tout ça ne peut pas être bien réel. Si c’était vrai, […] Pourquoi on n’est pas tous là maintenant en train de paniquer ? Et de prendre le problème à bras-le-corps pour lui faire face ? ». Cette question interroge également les scientifiques qui continuent leur « business as usual » dans leurs spécialités spécialisées (Günther Anders).

La « réalité » ne concerne plus des « incertitudes environnementales » (le thème de la session de ce colloque), mais des certitudes environnementales qui mettent en péril la survie de l’humanité dans des conditions décentes. La magnitude et la vitesse des ravages sont certes incertaines, mais l'ampleur des désastres est suffisamment sûre pour que la réaction politique attendue soit, comme dans le film « Don't look up », de détruire la météorite au plus vite. « Notre » météorite étant la surconsommation-surproduction-surexploitation de la nature et des humains, la réaction politique évidente serait de changer de trajectoire par la mise en place d'un système décroissant. Et pourtant il n’y a toujours aucun signe de changement de trajectoire (CO2, biodiversité, droits humains, ...). Dès lors, l'écologie ne consiste plus à défendre le principe de précaution (en présence d'incertitude), mais à défendre le principe de survie (en certitude du pire).
 

Les incertitudes sont en revanche très fortes en ce qui concernent les réactions des socio-éco-systèmes. Quelles marges d'atténuation ? Quelles capacités d'adaptation ? Comment opérer les transformations sociales profondes et extrêmement rapides qu’exige la situation ? Et pourtant les enjeux sont énormes, les réponses hyper-urgentes, et les choix à faire conflictuels (valeurs et intérêts très divers). Cette situation décrit le cadre de la science post-normale qui, pour aborder de tels problèmes, propose l'élargissement de la communauté des pairs. C'est ce qu'expérimente l'Atécopol.
 

Notre travail consiste, modestement, à structurer un savoir pluridisciplinaire à la hauteur des enjeux et qui soit mobilisable. Ceci afin d’outiller la société, de contribuer à construire une société mobilisée. Contre le rôle surplombant d’expert, le séminaire de recherche (Sémécol, soutenu par la Labex SMS) s’est d’emblée inscrit dans la cité, pour tenter de partager les savoirs entre les disciplines, et avec tous les publics. Nous prenons le risque d’investir notre intégrité académique dans le débat social plutôt que de se replier sur notre domaine de spécialité. Le choix d’intervenir via des tribunes ou des activités de formation (des personnels de l’ESR, des commissaires-enquêteurs avec la Dreal, des élus avec les DDT, etc.) vient du souci de contrer l'ignorance des données issues des sciences par nombre d’institutions, de professionnels ou de décideurs. Nous demandons donc à l'ensemble de la communauté scientifique de travailler l’interface sciences/société dans ce contexte d’urgence. Avec le but de faire suffisamment pression sur les politiques pour exiger des conférences citoyennes sur tous les sujets importants de technologie et de choix de société, conférences au service desquelles les scientifiques se mettraient. Nous ne proposons donc pas de déserter le monde académique (Anders), mais de bouger à l’intérieur, réorienter, expérimenter différemment. L’expérience de l’Atécopol  à ce jour démontre que nous avons énormément de possibilités.