Journée d'études | L’argent de la science

Publié le 30 avril 2021 Mis à jour le 5 mars 2024
le 7 juin 2021
9h45 - 16h30
En visioconférence (zoom)
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Présentation :

Le financement de la recherche scientifique soulève de nombreuses questions qui nécessitent un éclairage des sciences sociales. L’opération « Mondes Scientifiques » organise une journée d’études destinée à favoriser les échanges entre des spécialistes de ces questions et des chercheur.es de SMS qui croisent cette dimension dans leurs travaux sans forcément l’aborder de front.

Plusieurs facettes du lien entre science et argent seront discutées : les inégalités dans la répartition des financements, leur évolution historique, territoriale, institutionnelle et politique ; le rôle financier de l’Etat, des fondations, des lobbies, du secteur privé et la question de l’indépendance de la recherche et des chercheur.es ; les marchés liés à l’activité scientifique tels que la propriété intellectuelle, l’édition, l’expertise et leur articulation aux biens communs de la science.

L’argent est indéniablement présent et indispensable à la recherche scientifique telle qu’elle se pratique dans nos sociétés contemporaines. Il est donc essentiel de mieux comprendre les rouages qu’il emprunte et qu’il contribue à produire pour répondre aux questions actuelles sur la science et son devenir.
 

Matin

9H45 - Béatrice Milard : Introduction à la journée

9H50 - Michel Grossetti : Perspective longue sur les rapports entre la science et son financement

10H00 - Gabriel Galvez-Behar (univ. Lille, IRHIS)
La propriété scientifique entre droit et pratiques (XIXe - début XXe siècle)

10H40 - Christine Musselin (Sciences Po, CSO, CNRS)
Les implications organisationnelles du financement sur projet

11H20 - Pause
  • 11H30 - Emilie Roffidal : Le financement des académies artistiques en France au XVIIIe siècle
  • 11H35 - Christelle Manifet : Les tendances en matière de politiques d'admission des étudiants en France et aux Etats-Unis, une question financière ?
  • 11H40 - Teele Tõnismann : Le financement sur projet – un instrument de changement dans la politique de la recherche ?
  • 11H45 - Cécile Crespy : Quelles prescriptions internationales en matière de financement de la recherche ? Le cas de l'OCDE
  • 11H50 - Laurent Jégou et Marion Maisonobe : Les données de financement de la recherche : cartographies et dynamiques spatiales

11H55 - Discussion


Après-midi

14H00 - Cherifa Boukacem (univ. Lyon, ELICO)
Les modèles économiques de l’édition scientifique au cœur de sa transformation : nouvelles dynamiques de marchandisation de l’information scientifique

14H40 - Sylvain Laurens (EHESS, CMH)
Le lobbying industriel derrière la science amateur. Une sociologie des origines et des effets de l'astroturfing à prétention savante

15h20 - Pause
  • 15H30 - Guillaume Cabanac : Liens d’intérêt déclarés dans la base « Transparence-Santé » : Association avec les déclarations des publications (LiSa-Publi) - Différences en fonction du genre (LiSa-Genre)
  • 15H35 - Marie-Benoit Magrini : Questionner les équilibres public/privé dans le financement de la recherche agro-alimentaire
  • 15H40 - Constance Planeix : Le laboratoire d'ingénierie et ses financements
  • 15H45 - Axelle Vanhaecke : Enjeux financiers autour des consortium scientifiques
  • 15H50 - Stéphane Boisard : Mario Vargas Llosa et les réseaux intellectuels néoconservateurs latinoaméricains : Financer la bataille des idées

15H55 - Discussion

16H30 – Fin de la journée

 
Résumé des présentations des intervenant.es invité.es :

Gabriel Galvez-Behar (univ. Lille, IRHIS)
La propriété scientifique entre droit et pratiques (XIXe - début XXe siècle)

Dès XIXe siècle, au moment où la science vient s’écrire avec un grand S, s’affirme une aspiration des acteurs savants à contrôler la valeur tirée de leurs découvertes. Cette propriété scientifique, qui s’appuie sur les progrès chaotiques de la propriété intellectuelle, est le levier de formes de financement divers de l’activité scientifique – de l’entreprise scientifique à la philanthropie. Elle se situe ainsi à la croisée d’une économie symbolique et matérielle. Elle s’intègre, enfin, aux spécificités nationales des capitalismes des grandes puissances industrielles alors en plein essor.
Grâce à une analyse comparative entre la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne, il est possible de mettre en évidence les trajectoires singulières de la propriété scientifique, non seulement à cause des différences de structuration de la recherche dans ces pays mais encore à cause des différences de structuration des capitalismes que révèlent la place qu’occupe la propriété intellectuelle dans leur régulation respective.
Enfin, l’étude de la propriété scientifique permet de revenir sur la caractérisation de la science comme commun, en montrant que les logiques propriétaires s’inscrivent dans une perspective de longue durée.

Christine Musselin (Sciences Po, CSO, CNRS)
Les implications organisationnelles du financement sur projet

La part des ressources externes est de plus en plus importante dans le financement des universités françaises et elle devrait encore croître pour celles d’entre elles qui auront le plus de réussite aux appels à projet puisque la loi LPR, votée en le 24 décembre 2020 en fait un des principaux moteurs de croissance des budgets de fonctionnement, notamment grâce à la hausse du préciput.
Si l’histoire du financement sur projet commence à être mieux connue, en particulier grâce aux travaux de J. Aust, et que les effets de ce cet instrument sur le travail scientifique et sur les chercheurs ont été étudiés sous de multiples angles (construction des agendas de recherche, carrière, contenu du travail…), les implications sur la gouvernance des établissements ont en revanche été moins explorées.
Aussi, repartant des travaux désormais classiques sur la dépendance aux ressources, nous rappellerons tout d’abord que le financement sur projet est certes une contrainte pour les bénéficiaires mais qu’il leur permet aussi de négocier leur autonomie au sein de leur établissement. Puis, en nous appuyant sur nos propres travaux et sur une analyse secondaire d’autres publications, nous montrerons réciproquement que le financement sur projet est aussi devenu un outil de pilotage pour les établissements.
Nous verrons en conclusion comment la LPR pourrait encore accentuer cette évolution.

Cherifa Boukacem (univ. Lyon, ELICO)
Les modèles économiques de l’édition scientifique au cœur de sa transformation : nouvelles dynamiques de marchandisation de l’information scientifique

Un quart de siècle après les débuts militants du mouvement pour un accès libre à la publication scientifique, le Libre Accès (Open Access), aujourd’hui légitimé, structure le marché de l’édition scientifique. Ce dernier intègre désormais une diversité d’acteurs, dont les objectifs distincts se rejoignent autour de la logique d’Openness. Bien plus que les technologies numériques, les modèles économiques permettant de basculer vers l’Openness représentent aujourd’hui les enjeux d’innovation les plus importants pour les acteurs de l’édition scientifique, qui y voient un nouveau levier financier. Les mécanismes à l’œuvre (fragmentation, plateformisation, économie de marque, …) puisent dans des registres qui ne sont pas nécessairement en phase avec les valeurs originelles de l’Openness. Ils produisent des modèles qui renforcent ou installent des inégalités entre domaines de recherches, entre chercheurs et entre zones géographiques.
En proposant une analyse critique des mutations de l’édition scientifique à travers la transformation de ses modèles économiques, la présente intervention questionne par la même occasion l’avenir de la publication scientifique, qui donne à voir dans sa longue histoire, une nouvelle phase dans son processus de marchandisation. Cette phase a ceci de spécifique qu’elle présente des enjeux éthiques de la science qui raisonnent avec les défis sociétaux actuels, dont ceux de la pandémie du Covid 19.

Sylvain Laurens (EHESS - CMH)
Le lobbying industriel derrière la science amateur. Une sociologie des origines et des effets de l'astroturfing à prétention savante

De nombreux travaux ont pu documenter la façon dont l'industrie a pu enrôler l'expertise savante à son service, rémunérer des travaux de chercheurs pour faire du bruit autour de la nocivité prouvée de leurs produits, pratiquer le ghostwriting ou le détournement du fonctionnement ordinaire des revues scientifiques. La pratique la plus courante, celle du frontgroup ou du "faux" institut mis en avant par une business association pour mettre en circulation des arguments parés des atours de la science, semble aujourd'hui complétée par de nouvelles pratiques de lobbying qui ont toutes pour point commun de chercher à enrôler non plus seulement des savants ou des experts reconnus mais des "amateurs" de science, des vulgarisateurs, des youtubers. Cette contribution reviendra sur cette évolution des pratiques de lobbying en tentant d'en resituer la genèse et d'en analyser plusieurs conséquences à la fois pour l'espace scientifique et les acteurs publics.