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PEL : Politique des Environnements Liquides
Direction du projet : Solène Rivoal (INU Champollion-Framespa UMR 5136), en collaboration avec Romain Grancher (CNRS Framespa), Claire Judde de Larivière (Université Toulouse Jean Jaurès Framespa) et Julien Weisbein (Sciences Po Toulouse, Lassp).
Collaborateurs du projet : Élias Burgel, Alice Ingold, Robin Quillien, Hugo Vermeren
Présentation du projet
Inscrit dans la continuité des questionnements et conclusions du projet Politisations ordinaires financé par le Labex SMS (2013-2018), l’objectif du projet Politique des environnements liquides est d’explorer les interactions des acteur.rice.s avec leurs environnements et les modalités de mise en place de politiques de l’environnement. Il s’agit de comprendre comment – dans l’Europe atlantique et le bassin méditerranéen, du XVe siècle à nos jours – les communautés d’usager.e.s et les autorités compétentes considèrent les environnements liquides, se les approprient, les exploitent, les entretiennent, les conservent et tentent d’en prévenir ou d’en atténuer les risques. La maîtrise de ces environnements implique des savoirs, des techniques et des normes spécifiques, dont le développement s’accélère à partir de la fin du Moyen Âge, constituant encore aujourd’hui un enjeu politique majeur.
Par politique de l’environnement, nous entendons ici les décisions – souvent conflictuelles et controversées − prises tant par les communautés d’usagers que par les autorités compétentes, au sujet des éléments non-humains qui les entourent. En défendant l’idée que les relations entre les habitant.e.s et leurs environnements constituent l’une des composantes essentielles de la structuration des mondes sociaux, ce projet voudrait contribuer d’une manière originale aux recherches menées au sein du Labex SMS autour des formes de revendication, de négociation ou d’opposition qui participent à la production des normes régulant les sociétés.
Enjeux disciplinaires
Ces dernières années, la question environnementale a contribué, avec d’autres, à un renouvellement en profondeur des problématiques abordées par les SHS, en particulier dans le domaine de l’histoire et des sciences politiques. Le projet Politique des environnements liquides entend participer à ce renouvellement en cours de deux manières différentes.
En termes de disciplines, l’enjeu est de renforcer un dialogue encore insuffisant entre histoire sociale, histoire politique et histoire environnementale, d’une part, et entre l’histoire et les sciences sociales, d’autre part. De fait, l’histoire sociale et l’histoire politique n’ont pas encore vraiment intégré ce que la question environnementale fait aux sociétés. D’un autre côté, l’histoire environnementale – notamment telle qu’elle s’est développée en France ces dernières années – continue de dialoguer d’abord avec l’histoire intellectuelle et l’histoire des sciences, sans toujours prendre suffisamment en considération les pratiques et la capacité d’action des acteur.rice.s, ni leur ancrage territorial ou l’expérience qu’ils ont des environnements qu’ils habitent, travaillent et ce faisant façonnent.
En reliant ces différentes approches, l’enjeu du projet Politique des environnements liquides est de proposer une histoire sociale et politique des environnements qui s’intéresse en premier lieu aux communautés d’habitant.e.s et à leurs manières de concevoir, de défendre et de négocier l’usage du monde qui les entourent. Dans cette perspective, une attention toute particulière sera accordée à deux ensembles d’objets connexes : d’une part, les savoirs locaux, les pratiques d’expertise et les compétences (écologiques, juridiques, etc.) mobilisées par les acteurs ordinaires ; d’autre part, les formes et les pratiques d’organisation locales permettant une prise en charge collective des environnements vécus, exploités et gouvernés en commun.
En termes d’objets de recherche, l’originalité de ce projet consiste à se focaliser sur des environnements « liquides ». Contre une certaine tendance de l’histoire environnementale à penser les rapports à la Terre à partir des seuls rapports à la terre, il s’agira de développer une réflexion collective sur les environnements aquatiques au sens large, qu’il s’agisse des mers et des océans bien sûr, mais aussi des fleuves et des rivières, des lacs et des lagunes ou encore des canaux, des systèmes d’irrigation, des zones humides et même des égouts.
Ce sont donc les eaux, dans toute leur diversité (douces, salées ou saumâtres ; courantes ou stagnantes ; publiques, privées ou communes ; etc.), qui seront placées au centre de cette enquête collective, même si l’on se gardera évidemment de les envisager indépendamment des terres qui les jouxtent, avec lesquelles elles font toujours système. De fait, les activités terrestres ont des conséquences sur les eaux qui les traversent ou les entourent, que l’on pense aux pollutions par exemple, ou aux différentes modalités d’occupation des rives et des rivages. Il importe donc d’envisager les relations entre ces deux éléments de manière dialectique afin de comprendre si les environnements liquides sont d’abord des espaces dominés par la terre ou s’ils se singularisent par des usages et des formes d’exploitation spécifiques du fait de leur fluidité, qui tend à les rendre insaisissables et difficilement maîtrisables ou appropriables.
Axes de recherche
Dès la fin du Moyen Age, le gouvernement des environnements liquides s’est traduit matériellement par l’accumulation dans les archives de quantité de sources policières et judiciaires, mais aussi par la production de toute une littérature grise ou imprimée dédiée à la connaissance (et donc à la maîtrise) de ces milieux spécifiques, qu’il s’agisse d’enquêtes, d’inventaires, de descriptions, de traités savants, de cartes, etc. Encore peu explorée, cette documentation permet d’analyser trois aspects des interactions sociétés/environnements.
Territoires et processus de territorialisation
Le premier axe concerne la construction sociale et politique des environnements liquides, que nous proposons de concevoir comme le résultat de processus de territorialisation. Nous partons de l’idée que ces processus sont ancrés dans des réalités locales à confronter, mais qu’ils sont également conflictuels en ce qu’ils engagent des conceptions, des usages et des représentations non seulement plurielles, mais souvent rivales.
Mise en ressource et mise en commun(s)
Un deuxième axe sera dédié à la mise en ressources des environnements liquides, qu’il s’agisse de ressources animales (poissons, mollusques, éponges, coraux, etc.), végétales (algues, maërl, prés salés, etc.) ou minérales (sable, sel, etc.), mais aussi de l’eau elle-même ou de l’énergie que l’on peut obtenir en exploitant les vagues, les courants ou le vent. Il s’agit là d’un très large éventail d’éléments non-humains que nous souhaiterions aborder à partir d’une entrée : celle des « communs » aquatiques et maritimes. Par « communs », nous entendons ici des systèmes institutionnels locaux organisés aussi bien autour de certaines ressources que de certains territoires, étant entendu que leur dimension « commune » ou « communautaire » n’est jamais de l’ordre du donné, mais toujours du négocié et de l’institué.
Déchets, risques et pollutions
Le troisième et dernier axe du projet consistera à analyser la gestion des risques et menaces qui pèsent spécifiquement sur les environnements liquides. Il s’agira d’étudier comment, de la fin du Moyen Age à nos jours, ces environnements fragiles ont dû faire face à des menaces récurrentes et croissantes : surexploitation, épuisement des ressources, inondations, périodes de sécheresse, etc.
Le séminaire Commune Nature - L'environnement saisi par le droit
Organisation : Romain Grancher, Claire Judde, Solène RivoalCe séminaire de la thématique « Logiques du commun » propose d’explorer la question du et des commun(s) telle qu’une histoire environnementale profondément influencée par l’histoire sociale, l’histoire politique, l’histoire du droit et les sciences sociales permet de la saisir. Embrassant une longue période allant de la fin du Moyen Age à nos jours, considérant une grande variété de ressources (agricoles, forestières, minières, halieutiques, cynégétiques, aquatiques, etc.), d’espaces (jardins, pâturages, terrains vagues, marais, landes, fleuves, rivages, lagunes, mers, etc.) et de collectifs (États, corps, communautés, communs, associations, assemblées, etc.), ce séminaire se veut un espace de réflexion autour des formes passées et présentes de gouvernement en commun des environnements, qu’il s’agisse de les exploiter, les approprier, les aménager ou de les entretenir, les conserver et les ménager. Cette année, l’accent sera mis plus particulièrement sur des questions de droit et de régulation.