RÉSET : RÉSeaux intellectuels et circulation des savoirs dans l’Espace atlantique (de 1850 à nos jours) – approches Transnationales

   

Résumé

Le projet RÉSET a pour objet l’étude des processus d’internationalisation des réseaux intellectuels et académiques dans l’espace atlantique, de 1850 à nos jours, dans une perspective transdisciplinaire. Nous voulons identifier, à partir de 4 recherches empiriques complémentaires, les liens dynamiques entre la structuration de réseaux intellectuels/académiques et la circulation des savoirs dans un espace transnational. À partir des données recueillies de ces 4 terrains, il s’agira de reconstituer et cartographier des réseaux dont le degré d’institutionnalisation peut varier (associations, académies, universités, cercles, clubs, partis, lobbies, think tanks...), et d’analyser les circulations qui en découlent, celles des acteurs et des savoirs mobilisés et (re)formulés dans ce cadre transnational.

 

Définition du cadre théorique et problématique

Le projet RESET se conçoit comme une contribution nouvelle à l’épistémologie de la figure de l’intellectuel dans le temps long, depuis l’homme de lettres jusqu’à l’expert, en passant par la figure iconique de l’intellectuel engagé, au 20e siècle. Liés ou non au monde universitaire, ces nombreux avatars de l’intellectuel revendiquent tous une part d’autorité (auctoritas), un magistère qui s’exerce au-delà du seul champ intellectuel, dans l’espace public politique (Habermas). Diplômés de l’enseignement supérieur, ils produisent et diffusent des connaissances fondées sur la raison et, plus encore, sur une méthode qui se présente comme scientifique. Membres de la communauté des savants, ces intellectuels usent de leur réputation, de leur distinction sociale pour faire entendre leur voix.

Les intellectuels qui nous intéressent dans ce projet – depuis les hommes de lettres latino-américains au 19e siècle jusqu’aux experts des think tanks néo-libéraux en passant par l’intelligentsia conservatrice états-unienne ou les membres de l’AISLF – agissent au sein de réseaux transnationaux que le projet veut circonscrire, spécifier et cartographier, lesquels peuvent s’inscrire au sein, en marge, voire hors des communautés universitaires, à l’instar des think tanks, ces « universities without students » apparues au 20e siècle dans le monde anglo-saxon. Ce projet veut identifier les réseaux au sein desquels ces intellectuels agissent et restituer les savoirs qui circulent par leur intermédiaire, en interrogeant la question des publics visés et en mettant à jour le rôle de passeurs, d’intercesseurs joué par ces intellectuels. Ces réseaux contribuent en effet à promouvoir, vulgariser ou re-sémantiser des idées, des savoirs à l’intention des cercles intellectuels et de publics plus larges.

Le projet RÉSET s’inscrit dans des dynamiques de recherche interdisciplinaires qui permettent d’appréhender à nouveau frais les circulations académiques, scientifiques dans l’espace atlantique (Amériques et Europe) et les processus de (re)création des savoirs que ces circulations mettent en œuvre. À l’heure de l’histoire globale ou connectée, il est évident que ces dynamiques ne peuvent être appréhendées que dans un espace ouvert, dans lequel les circulations sont croisées et réciproques. Il s'agira donc de comprendre la façon dont ces réseaux transnationaux informent les processus politiques, économiques, sociaux ou culturels à l’œuvre depuis un pays (la France, les USA) ou une région donnée (Amérique latine, Euro-Amérique). Notre ambition est de décrire et de cartographier des circulations induites par les réseaux académiques et d’autres réseaux adjacents, dont le degré d’institutionnalisation peut varier (associations, groupes, cercles, académie, partis politiques, lobbies, think tanks, etc.), et d’analyser les circulations qui en découlent, à partir d’une étude des savoirs mobilisés et (re)formulés dans ce cadre transnational. On s’interrogera également sur les spécificités de ces réseaux transnationaux par rapport à des réseaux fonctionnant à des échelles moindres, en termes d’effets de distance, de vecteurs de communication et de re-sémantisation des savoirs, via notamment la traduction. La question des articulations entre réseaux locaux/nationaux et réseaux transnationaux sera étudiée à partir des 4 recherches empiriques au cœur du projet.

Quatre terrains transnationaux pour une problématique commune

   

Sébastien Rozeaux, MCF en histoire, laboratoire FRAMESPA

Je souhaite ici interroger les relations entre le Brésil et l’Amérique latine (c.1850-c.1922), explorer ce qui fut longtemps un angle mort de l’histoire de l'Amérique latine au XIXe siècle, à savoir les circulations et échanges culturels entre le Brésil et les Républiques hispano-américaines. Cette histoire d’un apparent « desencontro » (une non rencontre) repose sur trois piliers :

  • une histoire intellectuelle et politique de la « latino-américanisation » du Brésil (et de ses limites) : via une double approche qualitative et quantitative (par le recours au logiciel IRAMUTEQ), j’analyserai les occurrences de l’expression « Amérique latine » à partir des fonds périodiques numérisés de la Bibliothèque nationale de Rio.
  • une histoire socio-culturelle des médiateurs et de leurs réseaux transnationaux en Amérique latine : la consultation des archives en Amérique latine (Brésil, Argentine voire Chili), notamment diplomatiques, me permettront de reconstituer les carrières, les trajectoires et les réseaux de quelques letrados qui ont contribué à animer l’esprit latino-américain depuis ou vers le Brésil.
  • une histoire culturelle et littéraire de la circulation de l’information et des oeuvres entre le Brésil et ses pays voisins : à partir de la presse numérisée et des sources consultées depuis les archives, je voudrais mieux appréhender la qualité des relations culturelles entre le Brésil et le reste de l’Amérique latine.

Reconstituer la chronologie et cartographier les lieux de cette rencontre singulière et mal connue permettront de penser à nouveau frais l’histoire de l’ « Amérique latine », expression apparue au milieu du XIXe siècle.

 

Françoise Coste, Professeure en civilisation américaine, laboratoire CAS

Mon projet de recherche s’inscrit dans l’écriture d’une monographie sur l’histoire du Parti républicain aux États-Unis. Cette recherche s’insère logiquement dans le projet RÉSET car mon but est de montrer, entre autres choses, comment l’histoire du conservatisme américain s’est construite dans un va-et-vient constant entre le Parti républicain et le monde intellectuel — un monde d’abord composé d’intellectuels européens exilés aux Etats-Unis avant la Seconde Guerre mondiale et qui ont patiemment construit des réseaux internationaux après 1945 (on peut penser ici à Friedrich Hayek et à la Mont Pèlerin Society) ; puis un monde dominé par les think tanks conservateurs qui ont aujourd’hui pignon sur rue à Washington et dictent très largement le programme économique du Parti républicain (American Enterprise Institute, Cato Institute, Heritage Foundation, etc.).
La circulation des idées, telle que la théorie de l’offre, entre les intellectuels théoriciens et les hommes politiques qui doivent les « traduire » en termes compréhensibles et acceptables afin qu’elles se diffusent au sein de l’électorat, sera un axe déterminant pour comprendre l’influence de la doxa conservatrice aujourd’hui aux Etats-Unis.

 

Patricia Vannier, MCF en sociologie, laboratoire LISST

Mon projet de recherche porte sur l’histoire de l’Association internationale des sociologues de langue française, créée en 1958 par Georges Gurvitch et Henri Janne afin de résister à l’influence grandissante de la sociologie américaine véhiculée notamment par l’association internationale de sociologie, créée, elle, en 1949.
Il s’agira dans un premier temps de répertorier les acteurs, les réseaux, les aires nationales qui ont présidé à la création de l’AISLF et à la construction, à la fois géographique et épistémologique, d’une sociologie de langue française (entretiens auprès des premiers membres de l’association, consultation des archives de l’AISLF à Toulouse et de l’AIS à Amsterdam).
Dans un second temps, il s’agira d’étudier les modes de circulation des savoirs sociologiques, ainsi que l’insertion entre le milieu universitaire et la recherche, en particulier à travers les colloques et congrès de l’AISLF (publication des actes). Enfin, il s’agira de montrer la sociologie de l’AISLF comme monde scientifique singulier en tenant compte du contexte politique, marqué par la guerre froide et la décolonisation, et du contexte théorique ou disciplinaire (développement de la sociologie dans les universités et défense d’une tradition française de résistance à la sociologie américaine).

   

Stéphane Boisard, MCF en espagnol (Histoire latino-américaine), laboratoire FRAMESPA

 Mon projet de recherche porte sur la constitution d'un réseau d'intellectuels "néo-libéraux" en Amérique latine entre les années 1980 et aujourd'hui. Il s'agira de mettre en évidence les dispositifs de pouvoir mis en place par ces intellectuels organisés autour de la figure de l'écrivain péruvien - et prix Nobel de littérature - Mario Vargas Llosa.

  • Dans une première étape de la recherche, j'étudierai la production intellectuelle de Mario Vargas Llosa, notamment à travers le traitement via le logiciel IRAMUTEQ de la tribune bi-mensuelle Toque de Piedra que cet auteur publie dans El País. Cette analyse permettra de cartographier l'univers mental de Vargas Llosa.
  • Dans un second temps, la problématique s'ouvrira à la production écrite des membres des réseaux intellectuels et politiques constitués autour de Mario Vargas Llosa. Relais de la doxa néolibérale en Amérique latine, ils sont pour beaucoup des hommes politiques, des intellectuels, des journalistes, des juristes et économistes. Une grande partie d'entre eux travaillent dans des think tanks, des fondations et autres centres d'études présents en Amérique latine, en Europe et aux Etats-Unis d'Amérique. L'analyse mettra en évidence les modes de circulation des savoirs produits, notamment sous forme d'essais de vulgarisation visant à toucher un public large, présent aujourd'hui sur les réseaux sociaux. Ceux-ci circulent au sein de cet espace de think tanks mais sont aussi souvent relayés via des vidéos et des mèmes postés sur internet.
 

Séminaire RÉSET

2022_2023_affiche_reset Outre des réunions de travail en interne, le projet RESET organisera des séminaires dont le déroulé rythmera l’avancée des travaux dans leur dynamique collective et interdisciplinaire. Il est entendu que ces manifestations seront ouvertes au public, et notamment aux étudiants en Master et Doctorat.

Chaque séance du séminaire, sur une demi-journée, est conçue comme une étape dans la réflexion collective autour de cet axe problématique qui envisage l’intellectuel et les savoirs dans des réseaux dynamiques transnationaux. La restitution collective des résultats de nos enquêtes sera systématiquement mise en dialogue avec d’autres recherches et projets, par l’invitation d’intervenants extérieurs.