-
Partager cette page
La recomposition territoriale par l’évolution des services publics dans les territoires de faible densité : incertitudes, défis et perspectives
Par François Taulelle - Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires, Université de Toulouse, CNRS, EHESS ENSFEA, Toulouse
Depuis maintenant une douzaine d’années, le collectif qui porte actuellement le projet Labex Providence interroge les effets de la réorganisation des services publics sur les territoires. Ces recherches analysent les conséquences locales des politiques publiques sur les habitants, leurs rapports à ces services et les innovations à l’œuvre. Tout ceci se déroule dans un climat lourd d’incertitudes financières et de temporalités pour assurer la continuité des choix, ce qui confère une grande fragilité aux options retenues ou aux projets réalisés.
Notre recherche est centrée sur les territoires de faible densité qui présentent des fragilités. La faible densité est quantifiée par l’INSEE mais la statistique hésite entre une France très encadrée par le fait urbain et une France rurale éloignée des pôles urbains. Cette faible densité peut être vue comme une chance dans le contexte post-covid, en particulier si les services au public parviennent à répondre aux demandes des usagers.
Ces territoires sont le lieu de vie de populations souvent fragiles et précaires, attachées aux services de proximité, peu mobiles. Les services publics sont alors des lieux de sociabilité au centre de la vie locale, des symboles de la collectivité comparables aux fonctions que Durkheim attribuait au totem.
Thoenig et Friedberg ont bien analysé la régulation croisée qui s’opérait dans les politiques publiques entre l’Etat et élus locaux. C’est le cas, même après la décentralisation sur la thématique des services publics. Cependant, dans cette régulation apparaissent de plus en plus les acteurs sociaux, les collectifs et les usagers.
L’Etat a puissamment dérégulé les services de proximité en particulier sous couvert du New Public Management via la Révision générale des Politiques publiques (RGPP), avec, derrière l’objectif affiché de modernisation des services publics et de simplification des démarches administratives, un but moins avouable de baisse drastique des dépenses publiques par la règle du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Puis à partir du mandat de F. Hollande, la Modernisation de l’action publique a ralenti le processus en cours qui avait déstabilisé de nombreux territoires. Depuis la mobilisation des gilets jaunes, l’Etat essaie de redonner confiance et de réguler sans tensions en affirmant son retour dans les territoires de faible densité en particulier via les maisons France Service. Cette stratégie est interrogée dans le cadre du projet Labex.
L’auto-régulation intervient aussi par le bas. Les acteurs locaux s’auto-organisent et imaginent des initiatives innovantes de services (santé et éducation) à la population mais leurs initiatives atteignent vite des limites. L’Etat qui a réduit la voilure d’un certain nombre de services, produit un discours sur le thème de la différenciation-adaptation pour tenir compte des réalités locales : le même service n’est pas rendu partout. Cette approche est déclinée dans les stratégies de La Poste ou de la carte scolaire. Souvent, en réalité, il s’agit d’une gestion de la précarité avec l’appui des collectivités locales. On assiste à ce qui s’apparente à une nouvelle forme de régulation croisée avec des notables locaux qui essaient de peser sur la prise de décisions.
Le contexte du moment produit une vraie attractivité des espaces hors métropoles. Mais c’est une dynamique fragile, qualitative, sélective, saisonnière (résidentielle) et on peut s’interroger sur son caractère pérenne. Aujourd’hui on observe un vrai retour vers la proximité en particulier pour ce qui concerne les territoires hors métropoles : par exemple avec les programmes « Action cœur de ville » (2018-2022) pour les villes intermédiaires, « Petites villes de demain » (2020-2026) pour les intercommunalités de moins de 20 000 habitants. Cependant, les incertitudes sont grandes sur les arbitrages à venir : le coût des services ou encore l’enjeu financier. Soit l’Etat considérera que les services publics sont un investissement d’avenir, soit un coût trop lourd pour la collectivité.
Les initiatives locales, multiples, prennent des formes très différentes les unes des autres et il s’agit d’un vrai catalogue d’innovations pour vivre mieux dans les territoires de faible densité : itinérance, mutualisation via l’intercommunalité, expériences etc. La survie au long cours des solidarités pose question : essoufflement ou bien fer de lance/front pionnier pour de nouvelles initiatives ?